La petite famille
 

Une femme et son temps

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L'OEIL ET LA PLUME
Chronique du réel
Tiré de l'édito d'Elizabeth Semaine du 5 au 12 avril 1999

Dépister n'est pas chasser

La question est une nouvelle fois posée. Le Monde du 13 mars dernier a relancé le débat de l'eugénisme et de ce problème insoluble des avancées scientifiques et de la façon dont elles sont utilisées.

Le problème posé est celui du dépistage, maintenant systématiquement proposé, de la trisomie 21. Et s'il est légitime, au cours de la grossesse, de chercher à être rassurée, le dépistage systématique semble bien compliquer une donne qui n'était déjà pas nécessairement simple. Pourquoi dépister, en effet, ce qu'on ne sait pas soigner, si ce n'est pour éliminer ? Le dépistage semble controversé. Il semble en tous cas ne satisfaire personne. D'où l'intérêt du débat, qui dépasse largement les limites des cabinets médicaux. C'est vraiment d'un problème de société qu'il s'agit.
Parce qu'en effet, le dépistage est demandé par tous. Chaque future maman, en faisant suivre sa grossesse, n'a qu'une attente : qu'on lui dise, qu'on lui montre et qu'au besoin on lui démontre que tout va bien. Et c'est généralement le cas. Seulement, depuis quelques années, les biologistes disposent d'un test sanguin permettant d'évaluer un risque. Un risque de trisomie. Alors, ce test, elle l'accepte. Elle le demande. Cette simple prise de sang qu'on fait pour être rassurée. Mais encore ? Mais après ? Parce que le test, il ne nous dit pas comment va le bébé. Il ne nous dit pas comment est le bébé. Il nous dit que nous avons un risque plutôt plus important, ou plutôt moins important que la moyenne que notre bébé soit trisomique. Et c'est là, que tout se complique. Savoir qu'on a des chances, ou qu'on a plus ou moins de chances d'avoir un bébé trisomique ne sert absolument à rien. Quand bien même on déciderait coûte que coûte de garder ou de ne pas garder un bébé parce qu'il est trisomique, le test n'avance à rien. Il ne sert que comme préalable à l'examen complémentaire. A l'amniocentèse. Qui dira, de façon formelle, que le bébé est porteur d'une trisomie ou d'une autre anomalie chromosomique, mais pas génétique. Seulement, l'amniocentèse n'est pas une simple prise de sang. C'est un examen qui, le plus souvent, se passe bien, mais qui de temps en temps provoque la perte du bébé.
Les chiffres sont éloquents. Depuis qu'on propose de façon systématique ce test aux futures mamans, le nombre des amniocentèses a littéralement flambé. Il a été multiplié par 10 entre 80 et 90. Pour dépister, en 97, 358 cas de trisomies 21, on a perdu beaucoup de bébés sains en faisant les amniocentèses. Un bébé " normal " mort pour un bébé trisomique détecté. D'ailleurs, 358 cas, c'est peu. 8000 morts sur les routes la même année, et on continue de partir en vacances en voiture avec nos enfants. 1000 morts de la grippe, et on continue de ne pas vacciner nos bébés. 10 000 morts d'infections nosocomiales, et on continue d'accoucher à l'hôpital.

La trisomie serait elle donc si diaboliquement grave, si profondément incompatible avec la vie que nous soyons prêts à tout pour l'éliminer ?
Et à vrai dire, les deux semaines écoulées depuis la parution de cet article ont vu de nombreux débats se dérouler sur le sujet. C'est vrai, que le problème est complexe. C'est vrai, qu'on n'a pas envie que nos enfants soient malades, handicapés, inadaptés d'une quelconque façon. C'est vrai, qu'on ne le ferait pas exprès. Mais ça arrive. Et là où, sans dépistage, nombre d'entre nous l'auraient accepté, le dépistage rend l'acceptation presque impossible. Parce qu'outre la charge déjà difficile à porter, outre la culpabilité d'avoir fait un bébé qui n'était pas aussi bien qu'il aurait pu l'être se trouve posé le problème du choix, du " droit laissé à la femme de décider de la qualité de l'enfant qui doit naître ", pour reprendre les propos de Bernard Andrieu. Tu parles d'un droit ! Ce choix est surhumain. Et ce choix est absurde. Absurde parce que décidé seul face au poids d'une société dont on pense qu'elle n'admettrait pas, puisqu'elle s'est donné les moyens d'un dépistage anténatal systématique. Ne pas éliminer un bébé dont on sait qu'il est trisomique, c'est comme l'avoir fait exprès& ! Absurde parce qu'on pense à ce qui se passera dans 20 ans. Mais bon sang ! Quel parent peut jurer qu'il pourra accompagner son enfant jusqu'à 5 ans, 10 ans, 20 ans ou plus ? Et après tout, nous sommes une société riche& Absurde parce qu'il pose comme a priori l'idée du bonheur de l'autre, l'idée que l'autre ne sera pas heureux. Avant, on parlait du ravi, et je suis presque persuadée que l'aptitude au bonheur est inversement proportionnelle au niveau de conscience& Qu'est-ce qu'on en sait, du bonheur de l'autre& ? Absurde enfin parce qu'en proposant un test aux résultats somme toute médiocre de dépister une anomalie qui elle n'est pas si profondément incompatible avec la vie, on fait porter à cette trisomie un poids de handicap suprême qu'elle n'aurait jamais, rationnellement, dû avoir à supporter.

Mais jusqu'où le serpent, symbole de la médecine, arrivera-t-il à se mordre la queue ? On a trouvé un moyen de dépister la trisomie, mais pas de la traiter. Proposer le test est humain pour ce qui est de rassurer. Mais proposer ce test est terriblement effrayant quand on songe à ses conséquences, parce qu'il conduit le plus naturellement du monde à devoir décider d'interrompre la grossesse. Et à ne faire porter ce choix qu'à des parents bouleversés par l'annonce et devant décider de tout, de la vie, de la mort, tout cela dans l'urgence. C'est d'une logique effroyable.
Evidemment, tous les trisomiques n'auront pas de palme d'or à Cannes. Et il y a fort à parier qu'aucun de mes trois enfants n'en aura non plus. Statistiquement imparable& Mais accepter collectivement cette décision de dépistage systématique de la trisomie, comme si la trisomie était la plus invivable des catastrophes qui puisse nous arriver, c'est contraindre les parents à ne pas garder des enfants qu'ils auraient peut être gardé. C'est accepter de lire, dans les témoignages des parents qui ont fait le choix de l'ITG la mort dans l'âme, que dans une autre société ces bébés auraient pu vivre heureux. C'est accepter que ces parents souffrent parce que nous n'acceptons pas leurs enfants.

La société, c'est nous qui la faisons. Contraindre, en acceptant de faire ce dépistage parce que les parents ont besoin d'être rassurés, à éliminer des grossesses " anormales ", c'est ouvrir la porte à tous les types d'euthanasie. Des prématurés, des personnes âgées, des accidentés, de n'importe qui en fonction de la mode du moment. N'acceptons pas de transformer les médecins en vétérinaires& Personne, vraiment personne, n'a rien à y gagner.

Elisabeth Dielh (Editorialiste de FemiWeb, animatrice de femiliste)

 

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